- Combien de fois je lui ai rendu visite à son petit bureau de la rue Bergar?
- Combien de fois nous avons festoyé ensemble à La Cantina avec Jean-Guy, Robert et Mimo? 700 fois, 800 fois, mille fois? Ça n’a plus aucune importance.
- Combien de fois nous avons discuté de sport et de la vie en général sur la terrasse de son magnifique condo de l’Ile-Patton en buvant les meilleurs vins d’Italie et en grillant les meilleurs cigares de Cuba?
- Sans compter nos joyeuses escapades à Hilton Head, à Boston, à Augusta ou à Cape Cod.
- Combien de fois il m’a parlé de sa belle Raymonde, l’amour de sa vie? Comment elle lui manquait.
- Combien de fois il m’a répété: «Rousseau, il nous reste moins de Noëls qu’avant»? À cause de la maladie qui le rongeait petit à petit, je savais très bien ce qu’il voulait dire.
Notre grand ami Carol Vadnais est mort du cancer, dimanche matin, dans un Centre de soins palliatifs de Laval. Vingt-cinq jours avant de fêter ses 69 ans. Après un sursis de cinq ou six ans, la maladie est revenue, plus vicieuse et virulente que jamais. À la fin, il n’existait plus aucun poison pour empêcher le grand C de faire son oeuvre.
Cela nous rappelle encore une fois que ne nous sommes qu’un «petit grain de sable dans l’immensité de l’univers».
Son heure de gloire
Je connais Vad depuis le début des années 1970. Durant la saison estivale, le solide défenseur des Bruins s’arrêtait dans la petite salle de rédaction de la rue Port-Royal pour saluer Jacques Beauchamp et ses jeunes journalistes. Puisque nous avions une passion commune pour le golf et pour la vie, nous nous sommes vite liés d’amitié.
Carol était comme la majorité des hockeyeurs de son époque: une force de la nature, talentueux, bon patineur, sûr de ses moyens, un gars d’équipe et un bon vivant. Natif du quartier Ahuntsic, il aurait bien aimé passer toute sa carrière dans l’uniforme du Canadien, mais son destin était ailleurs.
En juin 1968, une couple de mois après avoir aidé les Glorieux à gagner la coupe Stanley, il était réclamé par les misérables Golden Seals de la Californie. Pendant environ quatre ans, il a ensuite mangé son pain noir en «patins blancs» avec l’équipe de Charlie O. Finley avant de passer aux Big Bad Bruins dans une transaction impliquant Reggie Leach, future vedette des Flyers.
C’est un peu comme s’il avait gagné le gros lot à la 6/49. Pendant trois ans et demi, il a joué pour une équipe qui faisait la pluie et le beau temps et il s’est lié d’amitié avec des athlètes comme Bobby Orr, Phil Esposito, Gerry Cheevers, Eddie Johnston, Wayne Cashman, Johnny Bucyk, Derek Sanderson, John McKenzie, Eddie Westfall et Gary Doak.
Combien d’histoires et d’anecdotes il m’a racontées au sujet du fameux Number Four? Son admiration était sans bornes pour le meilleur défenseur de tous les temps parce que Bobby Orr, mis à part son talent exceptionnel, était avant tout «one of the boys».
«Si j’avais joué avec Bobby pendant 10 ans, j’aurais accumulé assez de points pour être élu au Temple de la renommée», disait-il souvent.
Échangé aux Rangers
À l’automne 1975, dans un hôtel de Vancouver, Vad a eu la surprise de sa vie lorsque Don Cherry a cogné à sa porte tôt le matin pour lui annoncer qu’il était échangé aux Rangers avec Phil Esposito en retour de Brad Park, Jean Ratelle et un certain Joe Zanussi. Kaboom!
Avec l’aide de son avocat, il a insisté pour toucher sa prime de départ, puis il a bouclé sa valise et il a déménagé dans le Big Apple où il a aidé les Rangers de Fred Shero à atteindre la finale de la coupe Stanley. C’est d’ailleurs lui qui a marqué le dernier but contre Ken Dryden, au printemps 1979.
Carol a complété sa carrière au New Jersey avec Herb Brooks et Joel Quenneville, mais la passion n’y était plus après 17 ans sur les glaces de la LNH. De retour à Montréal, il a dirigé brièvement le Canadien Junior, puis il est devenu recruteur pour le Canadien sous la gouverne de son grand ami Serge Savard.
Quand il allait voir un match de hockey, il faisait exactement comme Jean-Claude Tremblay, recruteur en Suisse. Il surveillait et analysait soigneusement les joueurs en se fiant à leur numéro de chandail, puis il faisait son rapport au grand Serge. Il a joué un rôle majeur dans la transaction qui a amené Pierre Turgeon et Vladimir Malakhov à Montréal.
Le grand ménage de 1995, quelques semaines avant le départ tragique de Patrick Roy, lui a fait très mal au coeur. Ce n’était quand même pas sa faute si le Canadien avait amorcé la saison avec quatre défaites. Il en a voulu longtemps au président Ronald Corey. Par la suite, il n’a jamais eu la même attitude envers l’équipe de son enfance. La cicatrice était profonde.
Trop jeune pour prendre sa retraite, il s’est recyclé en agent immobilier et il a connu beaucoup de succès à Laval avec son associé et ami de longue date Jean-Pierre Proulx. Je le trouvais amusant lorsqu’il parlait de ses transactions immobilières et de ses pieds carrés. Plus drôle encore quand il avait une prise de bec avec ses copains Fazzioli, Pilon et Blanchette. La chanson des «Copains d’abord» leur collait parfaitement à la peau. Parfois, ça discutait fort, mais leur amitié était inébranlable.
Je ne suis que de passage…
Le printemps dernier, je me suis douté que l’état de santé de Carol se détériorait lorsqu’il a renoncé à son membership au club Islesmère en disant que son nerf sciatique le faisait trop souffrir. Il n’avait plus le même entrain et restait souvent seul à la maison. Heureusement, l’oncologue Jacques Laplante veillait sur lui comme s’il avait été son propre fils.
Comme tout le monde, Carol avait peur de la mort, ce grand inconnu. À la blague, il disait qu’il y a peut-être un terrain de golf au ciel et qu’il finira peut-être par jouer une partie avec Tiger Woods. Au plus fort de sa maladie, il avait encore le sens de l’humour. Voilà un homme que nous n’oublierons jamais.
À la radio, Renée Martel chante «Je ne suis que de passage dans ce monde…» en reprenant les paroles de son papa. Au hasard du temps, voilà une chanson de circonstances.
Mes plus vives condoléances à Michèle Vadnais, sa fille unique, à son gendre Alain Journeault, à leurs deux enfants, Ariane et Alexis, ainsi qu’à tous ses parents et amis. Je vous préviendrai lorsque j’aurai les informations concernant les obsèques.
Vad, tu peux maintenant aller rejoindre ta belle Raymonde. Repose en paix, mon ami!