Après un copieux repas au clair de lune sur la terrasse du Manoir du lac William, quelque part entre Plessisville et Thetford-Mines, pour ainsi dire sur une autre planète, je m’évanouis brusquement dans les bras de Morphée.
Quelques secondes plus tard, je rêve que je suis assis sur une vieille chaise de fer du Centre Paul-Sauvé pour assister à ce gala tant attendu par les amateurs de lutte de la Belle Province. La salle est pleine à craquer, ça pue les Rothmans et les Craven A, la bière coule à flots et les paris vont bon train parmi les Italiens de Saint-Léonard.
Édouard Carpentier, Mad Dog Vachon, Killer Kowalski, Johnny Rougeau, Bob (Legs) Langevin et Little Beaver se partagent volontiers la présidence d’honneur de la soirée. Ils ont droit à une belle ovation, mais aussi à quelques huées en quittant l’arène sur leurs vieilles jambes tremblottantes.
Autour du ring, on reconnaît les silhouettes de Claude Blanchard, Roméo Pérusse, Gilles Latulippe, Johnny Farago, Pierre Péladeau et Rosita Salvador. Un peu plus loin, il y a André Rufiange, Marcel Béliveau, Émile Genest, Fernand Gignac, Michel Louvain, Jos Saro, Jean Lapointe, Michel Longtin, Jean Neveu, les invités de Ménick et plusieurs autres fans des étoiles de la lutte internationale.
En retraitant au vestiaire, Kowalski perd les pédales et s’attaque à quelques spectateurs ivres et trop fringants. Heureusement, George Cherry, Eddie Creatchman, Reggie Chartrand et Chinois Salvail s’interposent pour calmer les esprits, au grand soulagement du promoteur Fernand Sainte-Marie.
Michel Normandin, porte-parole officiel de la Brasserie Dow, a revêtu son habit du dimanche pour nous présenter les pugilistes. Pour assurer la description et l’analyse des combats à la radio et à la télévision, on fera appel à cinq experts en la matière: Claude Mouton, Rocky Brisebois, Larry Moquin, Guy Émond et Toto Gingras. Ils ont tous fait la promesse d’une grande impartialité, à défaut de quoi on les remplacera par des gens plus honnêtes… si on les trouve.
L’arbitre est nul autre que Ron Fournier, un ancien p’tit gars du quartier Ahuntsic qui a grandi avec les fils du Rocket. On a permis à «Ron Ron Ron» d’enfiler son vieux chandail rayé, mais on lui a interdit formellement de grimper sur le matelas avec son sifflet et encore moins de se mettre à chanter à tue-tête avant, pendant ou après les combats. S’il n’accomplit pas bien sa tâche, Claude (Ti-Bé) Béchard, de Trois-Rivières, est fin prêt à prendre la relève.
Ginette Reno (qui d’autre?) a pour mission d’interpréter l’hymne national «a capella». Dans cette salle chauffée à bloc, un micro ne lui serait d’aucune utilité. Quand elle s’installe au milieu de la scène, on pourrait entendre voler une mouche dans le vieux sanctuaire qui a déjà accueilli les Six-Jours cyclistes, de furieux combats de boxe et des centaines de matchs de hockey junior.
Le combat royal
Après quelques combats sans signification, le temps est venu de passer aux choses sérieuses. Michel Normandin retourne donc sur le ring pour nous présenter les têtes d’affiche du combat royal:
- Dans le coin droit, portant la culotte rouge, cheveux frisés et un peu bedonnant, voici le champion en titre: JOHNNY BOY CHAREST, défenseur de la veuve et de l’orphelin, mais d’abord et avant tout chef incontesté du parti Libéral. Il ne manque pas d’assurance et semble prêt à se battre «à la vie, à la mort» pour conserver sa ceinture.
- Dans le coin gauche, très indépendante de nature et souvent mal-aimée après tant de combats acharnés, parfois même à l’intérieur de ses troupes: PAULINE (La Tigresse) MAROIS. Elle sait qu’elle devra livrer la plus dure bataille de sa carrière.
- Au centre de l’arène, un revenant: le challenger FRANKY (Monsieur Net) LEGAULT, déterminé à causer la surprise du siècle et à créer une nouvelle société sans corruption.
Pour ce combat tout à fait spécial, tous les trucs seront permis pour clouer son rival au tapis: le croc-en-jambe, le Full Nelson, la prise du sommeil, le ciseau de tête, le ruban gommé, la prise du petit paquet, la descente du troisième câble, les menaces, les accusations les plus folles et même la fameuse clé de bras japonaise. Une, deux et trrrois!
Le combat durera tant qu’on n’aura pas trouvé un vainqueur. Que le ou la meilleure ou l’emporte!