VARADERO, Cuba— Mon ami Dave Stubbs a poussé un peu fort en écrivant que le coeur de Montréal avait cessé de battre suite à la mort de Jean Béliveau.
Bien sûr, il a utilisé une figure de style pour rendre hommage à un homme pas comme les autres qui a marqué sa vie de journaliste sportif.
Aucun autre athlète n’a eu une carrière comparable à celle de l’ancien numéro 4.
Après avoir exploité au maximum le don exceptionnel que le Seigneur lui avait donné pour jouer au hockey, Béliveau s’est intéressé à plein d’autres choses et il a beaucoup lu afin de parfaire ses connaissances. Jusqu’à ce qu’il tombe sérieusement malade, il faisait encore beaucoup de lecture à son condo de Longueuil. En ce sens, il était ce qu’on appelle un «self-made man».
Quand on lui a demandé avec quel homme célèbre il aurait aimé avoir une conversation en privé, il a répondu simplement: «Nelson Mandela. J’admire ce qu’il a fait pour son pays. Il nous a montré ce qu’un homme peut faire quand il s’en donne la peine».
Victoriaville
Jean Béliveau est allé à l’école de son père Arthur, un homme qui n’avait pas beaucoup d’instruction, mais qui possédait un excellent jugement. Il a vite compris que la gloire est éphémère et qu’il ne suffit pas d’être un héros sportif pour réussir sa vie.
Un bon exemple: son implication dans la fondation qui portait son nom et qui venait en aide aux enfants handicapés dans la région de Joliette.
Quand on a voulu le fêter au Forum après l’annonce de sa retraite en 1971, il a insisté pour que l’argent amassé ce soir-là soit remis entièrement à la nouvelle fondation.
Un autre bon exemple: son implication dans le tournoi de golf Béliveau-Perreault à Victoriaville. Il était fier d’être associé à un tournoi aussi prestigieux et il était toujours disponible pour aider les Pierre Roux, Guy Aubert, Raymond Tardif, Maurice Desrosiers, Jacques Roux et cie.
Béliveau a grandi à Victoriaville et il a appris à jouer au hockey sur la patinoire des Frères du Sacré-Coeur. Contrairement à d’autres, il n’a jamais renié ses origines.
En passant, Béliveau était assez bon joueur de baseball pour faire carrière chez les professionnnels, mais il a fait le bon choix en partant pour la Vieille capitale à l’âge de 17 ans.
Les As de Québec
Dans les nombreuses conversations que j’ai eues avec M. Béliveau, j’ai toujours senti son attachement profond envers la ville de Québec. De par son talent pour attirer les foules, c’est lui qui a provoqué la construction du Colisée de Québec à la fin des années 1940.
En plus de faire trembler les gardiens de but et de remplir le filet adverse, il s’est fait des amis pour la vie. Il était si bien traité par l’organisation des As qu’il a attendu d’avoir 22 ans avant de faire le saut dans la Ligue nationale. Ce qui ne l’a pas empêché de marquer plus de 500 buts et d’en fabriquer des centaines d’autres dans la «grande ligue».
À Montréal, Béliveau est devenu instantanément une vedette et il a prouvé qu’il était prêt à chausser les souliers du grand Maurice Richard. Il a eu également la sagesse de négocier une entente avec la Brasserie Molson pour la saison morte. Son association avec Molson lui a éventuellement permis de devenir vice-président du Canadien. C’est ce qu’on appelle avoir de la vision.
Il n’y avait pas d’animosité entre Béliveau et le Rocket, mais ce dernier a été grandement exploité par l’organisation du Canadien et il l’a eu longtemps sur le coeur. Un jour, les deux hommes sont allés à la pêche ensemble et ils ont réglé ce différent. J’aurais aimé être dans la chaloupe!
Dernière rencontre
La dernière fois où j’ai jasé avec mon idole de jeunesse, c’était pendant les dernières séries de la coupe Stanley. Je suis allé le voir dans un centre de réadaptation de la rue Sherbrooke. En entrant dans la chambre, j’ai vu tout de suite qu’il était en train de livrer le dernier combat de sa vie.
Ce jour-là, nous avons ressassé de bons souvenirs, puis il m’a avoué qu’il en avait marre de se battre contre la maladie. Il n’a pas dit qu’il était prêt à mourir, mais c’est tout comme.
Plus tard, j’ai songé à lui rendre visite à son condo de Longueuil, mais j’ai beaucoup de mal à «dealer» avec la mort et je souhaitais garder un beau souvenir de mon idole. Je lui envoyais des messages par sa fille Hélène. De toute manière, il aurait été impossible d’avoir une longue conversation ensemble. Réjean Houle, Guy Lafleur et Yvan Cournoyer m’avaient confirmé qu’il était à bout de forces.
Par un étrange concours de circonstances, je suis présentement en voyage à Cuba avec mon fils. Je ne pourrai donc pas saluer M. Béliveau en chapelle ardente ou assister à ses funérailles nationales, mais je serai là en pensée avec sa famille, ses milliers d’admirateurs et admiratrices. Cet homme-là a marqué la vie de tellement de monde par sa prestance, son intelligence et sa générositéé
Dans la vie, il est très rare qu’on puisse se lier d’amitié avec le héros de son enfance. J’ai eu ce rare privilège avec Jean Béliveau et je m’en souviendrai jusqu’à ma propre mort.
Enfin, je me joins à tous les amateurs de hockey pour offrir mes plus vives condoléances à Élise, à Hélène, à ses deux filles et à toute la famille Béliveau. On vient de perdre tout un champion.
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