Quand il se plantait à la ligne bleue pour entendre l’organiste Al Melgard interpréter les hymnes nationaux, Gilles Marotte en avait la chair de poule. Pourtant, le gros Gilles n’était pas du genre nerveux.
Dans toute la Ligue nationale, il n’y avait pas d’endroit plus tonitruant que le vieux Chicago Stadium. Un vacarme à vous casser les tympans. Lorsque les Blackhawks s’élançaient à la conquête de la coupe Stanley, l’ambiance devenait électrisante, la foule survoltée.
Dans le temps, je suivais les Expos aux quatre coins de l’Amérique et Chicago était une de mes destinations préférées. D’abord à cause du Wrigley Field, d’Ernie Banks et de Ferguson Jenkins, mais aussi parce que tous les matchs des Cubs étaient présentés en matinée. Le soir, on pouvait faire la fête au Italian Village, chez Victor Hugo ou au George’s Steak House. Et Dieu sait qu’on ne s’est pas privé au fil des ans!
Avec un patron comme Jacques Beauchamp, il n’était cependant pas question de se traîner les bottines ou de dormir sur ses lauriers. Au printemps, il m’arrivait donc souvent de couvrir le match des Expos en matinée, puis de sauter dans un taxi en direction du Chicago Stadium pour y faire un reportage sur les Blackhawks.
Y’a rien comme des journées de 14 ou 15 heures pour apprendre le métier.
C’est ainsi que j’ai pu voir à l’oeuvre Bobby Hull et Stan Mikita quand ils étaient les dieux du stade. Je me rappelle qu’il y avait aussi Tony Esposito devant le filet, Keith Magnuson, Bill White, Doug Jarrett et Pat Stapleton à la ligne bleue, ainsi que des joueurs de soutien comme Jean-Pierre Bordeleau, Lou Angotti, Chico Maki, Eric Nesterenko, Dennis Hull, Pit Martin et Cliff Koroll.
C’est à cette époque que le regretté Pit Martin, de Rouyn-Noranda, a soulevé une grande controverse dans la Ville des vents et à travers la Ligue nationale. Il a confié au journaliste Bob Verdi que les Blackhawks manquaient de leadership derrière le banc et au deuxième étage. Il a ajouté que l’équipe n’était l’affaire que de deux super vedettes (Hull et Mikita) et que le reste du club ne comptait pas. Il n’en fallait pas davantage pour mettre le feu aux poudres.
Plusieurs joueurs se sont rangés derrière Martin. Billy Reay a senti le besoin de serrer la vis et Stan Mikita s’en est pris à son coéquipier en le traitant de «Perfect Pit».
Quelques années plus tard, Gilles Marotte m’a confirmé qu’il y avait deux clans chez les Blackhawks: celui de Bobby Hull et celui de Stan Mikita.
LA BARRE HORIZONTALE
Cela n’a pas empêché l’équipe favorite de Paul Houde de connaître beaucoup de succès sur la patinoire et aux guichets. Après avoir gagné la coupe sous la gouverne de Rudy Pilous en 1961, les Blackhawks ont participé quatre fois à la finale entre 1962 et 1973, s’inclinant à trois reprises devant le Canadien et une autre fois devant les Maple Leafs de Punch Imlach.
En 1971, Chicago aurait probablement battu le Canadien si le puissant tir de Bobby Hull n’avait pas touché la barre horizontale. Les Blackhawks menaient alors 2-0 dans le septième match. Quelques minutes plus tard, Jacques Lemaire a trouvé le fond du filet sur un lancer de 80 pieds qui a échappé à l’attention de Tony Esposito, puis le vétéran Henri Richard s’est chargé du reste, marquant le but égalisateur et le but de la victoire.
Je me souviens aussi d’un arrêt miracle de Ken Dryden aux dépens de Jim Pappin. Deux ans plus tard, c’est Yvan Cournoyer qui a pris les choses en mains contre Chicago. Quelques mois auparavant, le Roadrunner avait été un des héros du Canada dans la la Série du siècle.
Au début des années 1980, le petit Denis Savard, de Verdun, a fait vibrer le Chicago Stadium avec ses pirouettes et ses feintes extraordinaires, puis le fougueux Chris Chelios a pris la relève et l’équipe a déménagé dans un stade plus moderne. Les Blackhawks ont ensuite connu les ténèbres avant de voir arriver les Jonathan Toews, Patrick Kane, Brent Seabrook et Duncan Keith. C’est la grande roue du sport professionnel.
Les assistances sont meilleures que jamais au United Center et les Hawks sont redevenus une des puissances de la ligue, mais les gens de ma génération n’oublieront jamais l’ancien Chicago Stadium et son orgue à 40 000 tuyaux.