Le grand Ken Dryden, comme ses coéquipiers du vieux Forum, n’oubliera jamais l’époque où le Canadien dominait outrageusement la Ligue nationale. Comment pourrait-il en être autrement? L’équipe gagnait tout le temps et la vie était belle.
«Il nous arrivait de perdre un match sans signification pour différentes raisons, mais nous ne perdions presque jamais lorsque l’enjeu était important. Nous avions du talent à revendre et il n’y avait que le mot victoire dans notre vocabulaire», écrit-il au sujet des années 1970 dans son excellent bouquin intitulé «The Game».
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Avant d’entamer la saison 1978-79, Dryden a pris une décision importante. Même s’il n’avait que 31 ans, un très jeune âge pour un gardien de but, il n’avait plus rien à prouver car il avait déjà gagné presque tous les trophées imaginables. Il a donc décidé que, quoi qu’il arrive, ce serait sa dernière campagne devant le filet du Bleu Blanc Rouge. Il allait ensuite se consacrer à son métier d’avocat et vivre une nouvelle aventure.
Quelques mois plus tard, le destin a voulu que le Canadien batte les Bruins in extremis sur un but d’Yvon Lambert avant de disposer des Rangers en finale. Ils entraient ainsi dans la légende grâce à une quatrième conquête consécutive de la coupe Stanley, un exploit que Denis Potvin et les jeunes Islanders allaient répéter durant les années suivantes.
Dryden savait très bien ce qu’il faisait quand il a décidé d’accrocher ses lames et ses jambières au clou de la retraite. Il voyait vieillir l’équipe et il se doutait que la dynastie tirait à sa fin. Le temps lui a rapidement donné raison.
Insatisfait de son sort, Scotty Bowman a pris la direction de Buffalo et Jacques Lemaire s’en est allé en Suisse. C’était le commencement de la fin. Quelques mois plus tard, Yvan Cournoyer a dû annoncer sa retraite à cause d’un mal de dos insupportable, puis Serge Savard, Guy Lapointe et Steve Shutt sont partis tour à tour, laissant Guy Lafleur se débrouiller avec une équipe en chute libre.
DEUX COUPES EN 33 ANS
Dryden ne s’arrête pas là dans son analyse. À son avis, le Canadien n’est jamais parvenu à dominer son sport depuis la fin des années 1970 même s’il a gagné deux autres coupes Stanley en 1986 et en 1993.
Il précise que le Canadien a alors été favorisé par la chance, par les fantômes du Forum et par le brio exceptionnel de Patrick Roy. En 1986, la défaite surprise des puissants Oilers contre Calgary a ouvert la porte à toutes les équipes. Sept ans plus tard, ce sont les Penguins qui sont tombés au combat devant les surprenants Islanders. Le Canadien n’a eu qu’à vaincre les Nordiques de Pierre Pagé, puis la voie était libre.
Dryden ajoute que l’internationalisation du hockey a changé bien des choses. Selon lui, il est beaucoup plus difficile de remporter les grands honneurs dans une ligue à 30 clubs où on tente par tous les moyens de favoriser la parité.
Cette ligue n’a rien à voir avec celle qu’on a connue dans les années 1960 et 1970. On est loin de l’époque où la majorité des joueurs de la LNH étaient originaires du Canada. On vient maintenant de partout à travers le monde pour s’arracher les millions du hockey professionnel.
Dryden pense également que le métier d’entraîneur et de directeur général est devenu de plus en plus ardu dans une ville comme Montréal où les partisans ont été gâtés par tant de championnats.
À titre d’exemple, il mentionne Jacques Lemaire et Mario Tremblay qui ont préféré quitter la métropole pour pratiquer le métier d’entraîneur. «À Montréal, on aurait voulu qu’ils soient extraordinaires avant même qu’ils aient appris le métier», conclut-il.
Dryden n’a pas été qu’un excellent gardien de but. Il possédait aussi un sens de l’observation peu ordinaire. Ce n’est pas par hasard qu’on le considérait comme l’intello du Tricolore. Sur la route, il avait toujours un bouquin à lire ou des notes de cours à réviser. On lui fichait la paix parce que les gardiens de but, de toute façon, sont très souvent des être solitaires.
Une fois à la retraite, le grand Ken s’est installé à Toronto avec son épouse et il a connu certains succès comme avocat et comme politicien. Une fois ou deux par semaine, il gardait la forme en jouant au hockey dans une ligue de garage.
Il n’enfilait pas les jambières et préférait jouer à la ligne bleue. Son raisonnement était simple: «Si Gilles Lupien et Rick Chartraw peuvent jouer à la défense, je peux très bien le faire moi aussi!»