CALABASH, Caroline du Nord— Après avoir franchi les montagnes du Vermont et de la Pennsylvanie, il est sage d’éviter New York et Washington en empruntant des routes moins achalandées que la 95.
Une dizaine d’heures après avoir quitté le Québec dans la neige, tu roules tout à coup dans la verte et apaisante campagne de la Virginie en écoutant chanter Raymond Berthiaume, Bobby Hachey, Roy Orbison, Oscar Thiffault et Renée Martel. Lorsque tu voyages à trois, il faut qu’il y en ait pour tous les goûts!
Le lendemain midi, tu te présentes au club Carolina National juste à temps pour respecter ton heure de départ. Tu t’installes en vitesse sur le premier tertre de départ et puis bonne chance.
Vous aurez deviné que je suis en route vers Augusta afin d’assister en chair en et os au tournoi des Maîtres. C’est un plaisir et un privilège qui dure depuis 10 ans. Quelque chose pour agacer mes amis golfeurs et meubler mes vieux jours.
Le Masters n’est pas un événement comme les autres. On ne se lasse jamais de le vivre, d’en parler et d’écrire sur le sujet. Il y a bien sûr la tradition, la beauté des lieux, Amen Corner, Phil, Tiger et le jeune McIlroy, la foule immense qui applaudit les magiciens de la PGA, mais aussi bien d’autres choses encore dont je vous entretiendrai durant les prochains jours.
L’autre soir, en pitonnant, je suis tombé par accident sur la victoire de Jack Nicklaus en 1986. Même si je connaissais l’histoire presque par coeur, j’en avais la chair de poule.
Ce triomphe inattendu figure parmi les plus grands moments de l’histoire du sport. Quelques jours après avoir été dépeint dans un journal comme étant un golfeur «vieux et rouillé», Nicklaus a fait reculer l’horloge du temps et il a joué comme un dieu le dimanche après-midi pour rejoindre et devancer Seve Ballesteros et Greg Norman, les deux grands favoris pour gagner le tournoi.
On parlera encore longtemps de ses exploits sur le neuf de retour (eagle au 15e, birdies aux 16e et 17e trous), mais aussi des bévues de Ballesteros et de Norman en fin de journée.
Ballesteros était le Arnold Palmer des Européens et il n’avait pas son égal pour soulever la foule. Jusqu’à sa mort il s’est souvenu de son mauvais coup de fer 4 au 15e trou, lequel devait lui coûter la victoire.
En ce 13 avril 1986, on aurait dit que le scénario était écrit d’avance, que les dieux du golf s’étaient rangés une dernière fois du côté du Golden Bear. Quand il a vu Norman rater son dernier coup roulé sur le vert du 18e, Jack est sorti du Butler Cabin sous les cris et les applaudissements d’une foule en délire. À 46 ans, il vivait plus beau moment de sa carrière.
Trop souvent conspué parce qu’il avait osé mettre fin à la suprématie d’Arnold Palmer au milieu des années 1960, Nicklaus était finalement reconnu à sa juste valeur et ovationné à tout rompre par le grand public. C’était la consécration pour un homme qui a dominé son sport durant une vingtaine d’années.
Son fils Jackie traînait ses bâtons ce jour-là et cela rendait sa victoire doublement savoureuse. Le golf est un sport merveilleux, mais ça ne bat pas l’amour qui peut exister entre un père et son fils.
Meilleur golfeur de sa génération, Nicklaus est venu de nulle part pour inscrire sa sixième et dernière victoire à Augusta. C’était presque trop beau pour être vrai.
«Vous ne verrez jamais un plus beau Masters que celui-là», affirme Ken Venturi, ancien champion de la PGA et ex-analyste à la télé. Il a parfaitement raison.
N.B. Mes reportages en direct du club Augusta National seront rendus possibles grâce à la générosité de: PORTES & FENÊTRES CONCERTO (Jacques L’Estage), TRANSPORT ALEXCALIBUR (Alex André), GRANITE LACROIX DE LAVAL (Gilles Lacroix), BARWOOD-PILON (Robert Pilon) et LES ANCIENS DE LA LIGUE DÉPRESSION (Morris Duhaime). En votre nom, je les remercie du fond du coeur.